Lorsque Baptiste Debombourg est entré dans la vie, il a accroché ses pas sur le fil d’une résistance particulière. Lire ses recherches plastiques revient à percevoir dans chacune de ses œuvres une écume antérieure. Quand j’ai, du bout des yeux, effleuré pour la première fois son travail, une intuition m’invitait à la relecture d’Edgar Morin, une mémoire innocente me donnait à croire que certaines des expressions phares du philosophe historien semblaient définir, si tant existerait une pertinence de la définition, la pensée en marche de l’artiste. A mon sens, Baptiste Debombourg serait un « sociologue du présent ». Sociologue parce qu’il analyse l’écho de notre environnement direct dans l’aventure de nos corps et du temps présent, puisque les pièces qu’il donne à découvrir appartiennent à la vie contemporaine : aux rencontres en bords de chemins montagneux, au mobilier familier, aux trouvailles funestes du quotidien (...) la culture devrait être un processus historique de construction et de libération de soi. Ernst Cassirer, avance, en re-parcourant la critique kantienne que l’objectif de la culture devrait être la « personnalité libre » : les biens culturels peuvent devenir vivants et sont susceptibles de progrès à travers leur appropriation par les individus. Or, dans quelle mesure la culture de masse aux modèles en formica standardisé favorise-t-elle l’émergence de « personnalités libres » ? Et pour quelles raisons les individus œuvrant au déploiement de leur originelle liberté, paraissent si souvent jugés pour leur marginale attitude ? (...)


Baptiste construit au-delà des objets visibles l’hybridité, l’aspect monstrueux des erreurs de greffe. Accomplissant le geste dans son absolu, les coups maîtrisés, réfléchis et organisés portés par la hache entre ses mains tout à la fois retiennent et délivrent les innombrables impacts d’une histoire refoulée, non-dite, ou bien souvent ignorée. Pourquoi tolérons-nous qu’une norme régisse nos vies, inhibe voire annihile nos originalités ? Pourquoi ne pas fixer comme loi première et ultime la remise en question spontanée de tout corps acquis (soit entendu de tout corps qu’il soit concret ou abstrait) ? (...) Avec Baptiste Debombourg les œuvres recouvrent toujours une double identité : la séduction du premier regard et le sous-texte ou plutôt la sous-matière toutes deux induites par l’insistance de la perception (...) Les hommes passent tandis que la volonté de guerre demeure. Sans doute croyons-nous devoir l’entretenir pour qu’il y ait une Histoire en continu ? Et toujours au cœur de la réflexion de Baptiste la coexistence de la dualité, la trace mouvante et fragile de l’homme dans sa propre capacité inhumaine, autodestructrice, irrévoquable (...) Qu’adviendrait-il et, là est la question sous-tendue aujourd’hui par le travail de cet artiste, si l’on faisait du travail non le synonyme d’un robot accomplissant les unes à la suite des autres des tâches impersonnelles, mais l’espace infini d’une « création permanente »* et gratuite, d’une métamorphose sans cesse renouvelée ? 

Anaïs Delmas


*Robert Filliou

Texte publié pour le Catalogue de l'exposition "2001-2011 Soudain déjà" - Commissariat Guillaume Désanges - à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris (ENSBA) 2011 Anaïs Delmas est critique d'art, commissaire d'exposition et journaliste indépendante

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Baptiste Debombourg réalise des sculptures à partir d‘éléments standardisés issus de notre quotidien tels les emballages, cartons, caddies, automobiles, en lien avec leur environnement. Sa réflexion s’étend aux usages et aux comportements qu’ils induisent et à la relation psychologique, presqu‘affective, que nous entretenons avec ces objets qui conditionnent notre rapport au monde. En lieu et place de leur apparente neutralité et de l’indifférence qu’ordinairement ils inspirent, Baptiste Debombourg recherche et utilise leur potentiel de création, d’invention, même si cette marge d’intervention laissée vacante est relativement mince lorsque les formes et les usages sont pré-définis et pré-pensés à notre place. Envisageant sa pratique artistique comme un lieu de rencontre entre les cultures nobles et les cultures populaires, Baptiste Debombourg s’intéresse aux différents modes d’appropriation dont les objets standards font l’objet tels le tuning ou la customisation. Des pratiques qui condensent de façon ambiguës le désir de métamorphoser des objets courants et l’échec programmé de ces tentatives, puisqu’ils ne permettent souvent pas de dépasser la médiocrité propre à leur mode de production. Le travail de Baptiste Debombourg révèle ainsi les décalages entre l’idéal que l‘on cherche à atteindre et la réalité limitée de ce qui peut être fait.

Delphine Masson


Texte publié à l'occasion de l'exposition collective "Home sweet Home" présentée au Centre de Création Contemporain à Tours (CCC) 2006
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